Éléments d’histoire

Les Ulis, la dernière ville majeure,

Les Ulis fête ses 18 ans. Hier, sous les tours de cette ville poussaient fraises et céréales. Puis sont arrivés les humains. Histoire de la dernière commune de France née de rien. Aujourd’hui, 80 nationalités y cohabitent. – Pépère et Mamie ont posé leurs affaires dans la résidence déserte. Puis ils se sont regardés, un peu effarés. Il neigeait ce jour-là, ce qui pour un 31 avril 1968 leur a semblé un peu exagéré. Elle était belle, la résidence, sur son chantier boueux égaré au milieu des champs de fraises. Dommage qu’il n’y ait pas eu de chauffage, ni d’eau, ni d’électricité. Pépère a coupé du petit bois et allumé du feu sur la terrasse, pour faire chauffer le café. Pas fâché, finalement, de partager le rude sort des pionniers: Louis et Huguette Le Carff, gardiens de la résidence des Bathes, ont été les premiers habitants des Ulis. Officiellement fondée il y a dix-huit ans, c’est aujourd’hui une drôle de ville, sans passé, sans monument aux morts. C’est aujourd’hui une dynamique commune de 27.000 habitants, au nord de l’Essonne.

Les Ulis a vieilli, le temps de devenir majeure. Quand, en 1960, on décide d’urbaniser le coin pour laisser respirer la petite couronne, Les Ulis se limite à un beau plateau agricole, riche en céréales, et biné sur les bords par des Bretonnes, spécialistes de la culture des fraises. A droite, Orsay, à gauche, Bures-sur- Yvette, deux douillettes communes de 18.000 âmes à elles deux, qui ne voient pas d’un bon oeil la création de la ZUP (zone d’urbanisation prioritaire), imposée par l’Etat.

On décide de construire 10.000 logements sur 200 hectares, et les travaux démarrent en 1965. Deux architectes, Robert Camelot et François Prieur, qui avaient déjà sévi à La Défense, se sentent pousser des ailes: «Pourquoi un dimanche de juin les gens ne déjeuneraient-ils pas sur l’herbe, au pied de leur immeuble, rêvasse François Prieur. Cela leur permettrait d’échanger de la nourriture, de se parler, de se connaître…» On envisage même de construire un téléphérique, mais les architectes reviennent vite sur terre. Et la ville, au total, est curieuse: elle forme une espèce de papillon, dont une aile, à l’est, comprend la zone d’activité de Courtaboeuf, la troisième zone française de haute technologie, l’autre, à l’ouest, le reste de la ville, ramassé dans un petit carré d’un gros kilomètre de côté. Des immeubles plantés en forme de champignon, plus haut au centre, plus bas sur les bords. Entre les deux ailes, Montdétour, le quartier sud d’Orsay retranché derrière ses pavillons.

C’est une ville piétonne, construite sur deux niveaux: on roule dans les rues, on marche sur les esplanades, on traverse grâce à dix-huit passerelles qui enjambent la ville d’est en ouest. L’ensemble est pratique (surtout pour les enfants) à défaut d’être toujours gracieux, et a été construit en toute hâte. Les ouvriers ont travaillé jusqu’à cinquante d’heures d’affilée pour terminer la mairie le jour même de son inauguration, et les premiers habitants avaient toujours une paire de bottes dans un sac en plastique pour traverser la ville. Sous le regard un peu méprisant des voisins. «La ville n’a jamais été comprise par les habitants de la vallée de Chevreuse, explique Roger Moret, un ancien éducateur de 74 ans qui connaît la ville comme sa poche. Bures et Orsay, avec leurs bois et leur tranquillité, sont plus conservatrices. Cette grande ville, avec ses tours, les trouble beaucoup. Pour eux, ici, c’est Chicago.»

Alors, quand le 14 mars 1976, les électeurs ont eu à choisir entre maintenir un district urbain sur la ville, fusionner Bures et Orsay, ou créer une troisième commune, ils ont choisi de créer une nouvelle ville, avec ses pauvres et ses HLM. Les Ulis est née officiellement par décret préfectoral le 17 février 1977. Le découpage frise la caricature: tout ce qui est pavillonnaire est resté sur Bures et Orsay, tous les immeubles sur Les Ulis. A Montdétour, on a même muré les rues qui permettaient de passer aux Ulis, ce sont désormais des impasses. « Ça s’estompera avec le temps », philosophe Paul Loridant, le sénateur-maire chevènementiste. Déjà, tous ces gens viennent au centre commercial des Ulis. Nous sommes désormais une vraie ville de banlieue, un pôle fédérateur.
Bures et Orsay se mordent un peu les doigts du découpage: grâce à la taxe professionnelle de la zone de Courtaboeuf, Les Ulis sont une ville riche peuplée de gens pauvres. Le niveau d’équipement est remarquable, et la ville bourgeonne avec ses 160 associations. Evidemment, avec 40% de jeunes de moins de 18 ans et le taux de chômage de la région parisienne, il y a des problèmes, dont le point culminant a été la mort d’un jeune l’an dernier après un affrontement entre bandes. «On a du mal avec les petits frères, explique un éducateur, les 13-15 ans, même leur famille a du mal à les tenir.». Mais le maire ne s’en fait pas trop. «La ville bouge, même s’il y a des difficultés. Il y a un esprit ulissien: on se dit les choses vertement, mais il y a peut-être plus de solidarité qu’ailleurs.» Avec encore un peu plus de mal à trouver ses marques.

Huguette Le Carff, première habitante et gardienne de la résidence des Bathes de 1968 à 1982, regrette surtout la première époque des Ulis, quand on l’appelait Mamie et que son immeuble était peuplé d’universitaires d’Orsay. Depuis, son mari est mort, les profs ont construit leurs maisons, la résidence est devenue «moins bien fréquentée». Et Huguette Le Carff habite aujourd’hui un pavillon à Montdétour.
Liberation.fr, 1994

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